Protestants ? Evangéliques ? Sectaires[1] ?

 

Commençons par un peu de vocabulaire. Les médias parlent souvent des  « évangélistes » et non pas des « évangéliques ». C’est une confusion entre deux termes. L'adjectif « évangélique » se réfère à l’Evangile (comme dans l’épître aux Romains 1-1 « évangélique, euaggelion ) : bonne nouvelle, heureuse nouvelle du royaume de Dieu bientôt mis en place. Ce terme caractérise également une partie du protestantisme.

Le substantif « évangéliste , euaggelistou » (comme en Actes 21-8) désigne, quant à lui, soit les auteurs des quatre évangiles, soit une personne exerçant un ministère (souvent itinérant) qui a le don et la mission de communiquer l'Evangile aux incroyants et de les appeler à la conversion.

Les églises sont donc évangéliques même si en leur sein certaines personnes sont des évangélistes. Voilà une distinction effectuée.

 

 Mais pourquoi les « évangéliques[2] » sont-ils souvent confondus avec ce que l’opinion appelle secte ?

 Là aussi, le vocabulaire vient à notre secours. Le mot  ‘secte’  vient du mot latin « secta », un substantif qui a pour origine vraisemblable deux verbes : «sequor » d'une part -l'origine la plus ancienne- et « secare » d'autre part.

« Sequor » signifie suivre. Le mot « secte » vise alors un ensemble de personnes qui suivent un maître. Le groupe ainsi défini peut qualifier un parti politique, une faction, une école philosophique. C'est en ce sens qu'est employé le mot « secte » dans le Nouveau Testament. On y parle de la ‘secte’ ou du ‘parti des pharisiens’ (Actes 15,5 ; 26,5), de la ‘secte des sadducéens’ (Actes 5,17), de la ‘secte des Nazôréens’, du grec ‘Nazoraios(Actes 24,5), etc.

« Secare» signifie couper. Lorsque Lactance, écrivain chrétien du 3e siècle, emploie ce terme, c'est effectivement pour désigner des groupes qui prennent leurs distances par rapport à l'orthodoxie chrétienne, ceux que l’on appellera des « hérétiques». Le danger perçu par les garants du groupe majoritaire concerne la « foi», la « religion», la « saine doctrine» (première épître de Timothée 1,10).

 À partir de cette nouvelle racine, le sens du mot « secte» va prendre un sens différent. On définit de la sorte tout groupe qui se coupe, se sépare d'un autre groupe. Cette nouvelle signification est utilisée par le groupe dominant pour qualifier le groupe minoritaire qui se sépare. Ses membres sont des sectateurs. En se chargeant de ce nouveau sens, le mot « secte » prend une connotation péjorative. Pour celui qui traite un groupe de «secte», il s'agit d'un jugement de valeur qui veut dire : « il s'est coupé de nous».

Dans une troisième étape, les deux sens de « sequor» et de « secarre» vont être assimilés et le mot « secte» désigne désormais un groupe séparé du groupe majoritaire qui suit un maître lui-même non « conforme» à ce qu’attend le groupe majoritaire. Le mot « secte» connaît ainsi son heure de gloire au moment de la Réforme. Ceux qui vont suivre Luther (et ainsi hériter du nom de luthériens) vont être jugés comme sectateurs. « Secte» définit donc un groupe dissident, un groupe en rupture, un non-conformisme par rapport à l'Eglise dominante (et à la société civile). L’appellation de « secte» est donnée par le groupe religieux dominant, ici l’église catholique. Les luthériens sont sectaires puisqu’ils ont abandonné, d’après les catholiques, la « saine doctrine». Il est bien évident que les adeptes de Calvin (les réformés) et les églises issues de la Réforme (et des courants réformateurs) connaîtront la même appellation. Elles représentent autant de séparations successives et un éloignement progressif par rapport à  « ce que le groupe dominant qualifie de saine doctrine».

En France, en dépit du pluralisme confessionnel qui existe, l'Église catholique a appelé « sectes » l'ensemble des Eglises  issues de la Réforme protestante dont les Églises luthérienne et réformée, et ce, jusque dans les années 1960, voire 1970.

Il y a plusieurs raisons à cela, des raisons d'ordre historique et socioculturelles.

Jusqu'au lendemain de la Seconde Guerre mondiale,  pour beaucoup, être français c’est aussi avoir un héritage religieux prégnant, ici le catholicisme. Il est vrai que le religieux peut se lire dans l’espace. Ainsi, à la campagne, ce sont les clochers qui attirent le regard et désignent les  villages. La paroisse qui désigne une aire géographique précise sous l’Ancien Régime, devient, à la Révolution Française, la « commune».

Cette prégnance du religieux majoritaire est telle que, maintes fois, les présentateurs de la télévision, pour ne parler que d’eux, affirment avec aplomb que tel ou tel homme « public» va “à la messe», alors que, protestant, il va au culte. Il y a, consciemment ou non, superposition de la référence transcendante (Dieu) et de la référence confessionnelle (Église catholique romaine), dans notre pays tout au moins. Ainsi, les autres Églises et les autres religions, a fortiori, sont nécessairement différentes, donc redoutées, voire dans l'erreur, dans l'égarement, dans le mensonge et donc la méfiance à leur égard est « naturelle». Dans ces conditions, nombre de personnes, en France tout au moins, méconnaissent, sinon ignorent même, les autres traditions chrétiennes. Dans ce contexte, tout groupe minoritaire, rassemblant des membres convaincus, avec des exigences d'appartenance fortes,  affichant une volonté missionnaire, est susceptible d'être taxé de « secte» parce que simplement autre !

À partir des années 1970, dans nos sociétés,  la référence au religieux s’estompe ; nous sommes en pleine période de sécularisation. Et c'est au terme de cette décennie que le sens du mot « secte » va encore considérablement évoluer. En effet surgissent, venant des États-Unis ou du Moyen et d’Extrême-Orient, ce que l’on appelle rapidement les « nouvelles sectes ». Un certain[3] nombre d’événements dramatiques ont lieu : en novembre 1978, avec les suicides de masse qui ont anéanti une communauté dirigée par le révérend Jim Jones ; l’empoisonnement collectif de disciples de la prophétesse coréenne Soon-ja à Séoul en 1987 ; l’assaut donné contre le siège de la communauté dirigée par David Koresh à Waco, au Texas ; l’attentat au gaz sarin perpétré en 1995 dans le métro de Tokyo par le groupe Aum Shinrikyo, etc.

 Le mot « secte »  va voir son sens évoluer de nouveau et  devenir synonyme de danger, non plus, cette fois, au plan de la religion, de la doctrine, mais au plan du comportement et de l’intégration à la société : on voit bien ici que le glissement sémantique est fort.

 Dès lors, le sens commun va assimiler la «secte», groupe dissident et la «secte», groupe dangereux. Et une confusion de langage va s’établir : certains continuant à nommer « sectes » avec le nouveau sens donné à ce mot, les groupes qu'on appelait « sectes » hier ; d'autres, vont appeler «sectes» tout militantisme religieux étranger à leur propre foi.

 Le qualificatif de « sectes » attribué sans discernement  devient alors insupportable, car il signifie aujourd'hui “groupe abusif, totalitaire et hors-la-loi ». On comprend dès lors que beaucoup de communautés évangéliques le refusent avec énergie. Désignées comme « sectes» avec la connotation négative que l’on vient d’expliciter, elles sont montrées du doigt. Mais dans un paysage religieux resté univoque pendant des siècles, où beaucoup de confusion règne, il leur est difficile de faire entendre leurs voix.

 

 

Les évangéliques sont –ils des protestants ?

Essayons rapidement de survoler l’Histoire afin de trouver, si cela est possible, les racines du mouvement évangélique.

 Les mouvements Vaudois au 12e siècle et Hussites au 14e siècle sont des précurseurs de la Réforme protestante : cela est admis par beaucoup.  En 1517, Luther affiche ses 95 thèses sur la porte de la chapelle du château de Wittenberg.  Il traduit la Bible en allemand. C’est le début de la Réforme protestante. Parallèlement, débute l’anabaptisme. Le vocable « anabaptisme» désigne, étymologiquement, les pratiques et les doctrines des chrétiens qui préconisent un second baptême ou baptême d’adulte.

 Si, pendant longtemps, les historiens ont opposé la Réforme dite magistérielle (Luthériens, Réformés…) et la Réforme dite radicale[4] (Anabaptistes…),  il n’en est plus de même aujourd’hui. Les deux Réformes ont eu lieu de manière concomitante. Ainsi, deux mouvances d’anabaptistes voient le jour : un courant violent, celui de Thomas Münzer, et  un courant pacifique né à Zurich, au début de 1525, d’une scission entre Zwingli et certains de ses disciples au moment de l’introduction de la Réforme dans la cité et dans le canton.

 Parallèlement à la confession de foi luthérienne -confession d’Augsbourg 1530, puis réformée -, Calvin fait paraître en français un ouvrage doctrinal : « l’Institution de la Religion chrétienne» et devient rapidement le chef d’une église protestante « réformée» qui adoptera, en 1563, le Catéchisme de Heidelberg. Or, dès 1517 est proclamée   la Première confession de foi anabaptiste : celle de  Schleitheim.

 Le 16e siècle voit l’apparition du Puritanisme. Le terme de « puritain» est quelquefois employé pour désigner ceux qui, dans diverses confessions et à différentes époques, ont recherché un culte sans apparat et une morale très stricte, en conformité avec ce qu’ils pensent être le christianisme originel. Au sens historique, le puritanisme désigne le mouvement qui tente en Angleterre de poursuivre la Réforme en prônant la théologie calviniste et l'ecclésiologie presbytérienne. On voit donc naître de nouvelles Églises séparées : congrégationalistes ou baptistes. Ces tendances puritaines (presbytériens, congrégationalistes, baptistes…), en émigrant aux colonies nord-américaines, seront à l'origine du protestantisme américain.

 Le 17e siècle est aussi l’époque du piétisme : le piétisme est considéré comme une réaction contre les tendances « mondaines» que manifeste le protestantisme à partir du 17e siècle et contre le fait que les découvertes religieuses opérées par les réformateurs, en particulier la certitude personnelle du salut mise en évidence par Luther, semblent ne plus être crues.  Parmi les principaux piétistes, il faut citer Spener, Zinzendorf, Wesley.

Au 18e siècle on voit apparaître encore de nouvelles églises : les méthodistes, les frères moraves. Les mouvements de Réveil sont nombreux ainsi à Genève. En réaction au Siècle des Lumières et à la modernité, se mettent en place des œuvres missionnaires et naissent des Alliances.

Au 20e siècle, en réaction à la théologie dite libérale, un retour aux « vérités bibliques» considérées comme « fondamentales» est encouragé. De nouveaux groupes se créent : le pentecôtisme moderne débute en 1906 et le renouveau charismatique est plus tardif : 1967.

On voit donc que la Réforme est, de par sa nature, plurielle. Il y a de multiples groupes protestants, et ce, dès l’origine.

Jean Baubérot, président de l’EPHE, dans l’article « Protestantisme» de l’Encyclopedia Universalis écrit :

 “Il n’est donc guère étonnant que le protestantisme actuel puisse être qualifié de « confession sans frontières».  Il comprend des courants théologiques très divers (libéralisme et néo-libéralisme, théologies politiques, orthodoxies luthérienne et calviniste, littéralisme biblique, mouvements pentecôtistes et charismatiques, etc.) et des systèmes ecclésiastiques différents (épiscopalisme, régime presbytérien synodal, congrégationalisme). »

Les « évangéliques» sont des chrétiens qui se réclament de Luther et de Calvin. Comme héritiers de la Réforme, ils soutiennent les deux principes : l’Écriture seule, la foi seule. Ils sont donc « protestants». Mais ils ont aussi d’autres spécificités que l’on met souvent en avant. Ils reconnaissent la Bible, comme autorité souveraine en matière de foi et de vie : c’est un premier caractère. Les évangéliques défendent  aussi l’idée que l’on ne naît pas chrétien, mais qu’on le devient par un acte de foi personnel en Jésus-Christ, mort et ressuscité : c’est un second caractère.

 Un très grand nombre d’églises évangéliques[5], présentes et actives sur le sol français, sont nées en France et plus largement en Europe depuis plusieurs siècles, voire depuis la Réforme amorcée au 15e siècle pour quelques-unes, par exemple les mennonites[6]. Mais il est aussi évident que certaines d’entre elles ont été fondées par des missionnaires venant d’autres pays. Ces missionnaires, sur le sol européen, ont transmis un héritage qu’ils avaient eux-mêmes reçu des contrées où la Réforme avait eu lieu : juste retour des choses ?

Ces églises évangéliques, la plupart du temps, sont rattachées à des Unions d’Églises. Mais elles conservent leur spécificité. En effet, pour elles, ce n'est pas l’institution ou l’organisme ecclésiastique quel qu'il soit qui constitue l’Église. Pour elles, l'Église est là où se trouve une communauté de chrétiens : la communion se fait dans la foi. On comprend mieux alors ce que d'aucuns appellent « l’éparpillement évangélique», ce qui ne favorise pas la compréhension.

Mais pour nous retrouver dans un paysage apparemment si complexe et pour apporter une meilleure clarté avons-nous ajouté deux compléments.

 

 

Claude Martinaud.

 

Piste bibliographique :

- FATH Sébastien (dir.), La diversité évangélique, Cléon d'Andran, Editions Excelsis, 2003.

- KUÉN Alfred, Qui sont les évangéliques? Identité, unité et diversité du mouvement Saint-Légier (Suisse), Éditions Emmaüs, 1998

- STOTT John, La foi évangélique. Un défi pour l'unité, Ligue pour la Lecture de la Bible, 2000

- SINCLAIR Christopher (clin), Actualité des protestantismes évangéliques, Strasbourg, Presses Universitaires de Strasbourg, 2002

  - Notices : « Des évangéliques et des catholiques se questionnent mutuellement » produites par l’EEELCUS et les ERNR (entente des églises évangéliques de la communauté de Strasbourg) avec leur autorisation.

 

                                                              ANNEXE

QUELQUES  ORGANISATIONS  ET  REGROUPEMENTS  FEDERATIFS

des communautés évangéliques en France.

 

Ces associations regroupent une grande diversité d'Eglises, d'unions, de dénominations et d'œuvres qui s'accordent selon les cas sur une même charte, une même confession de foi, une même vision.

 

FPF     Fédération Protestante de France, créée le 25 octobre 1905. Elle rassemble les Eglises luthériennes, réformées, des églises évangéliques (baptistes et pentecôtistes), ainsi que des institutions, des œuvres et des mouvements d’inspiration protestante. fpf@protestants.org
FEF   La Fédération Evangélique de France (née le 22 mars 1969) rassemble des unions d'Eglises, des associations cultuelles locales et des œuvres d'évangélisation et sociales à vocation évangélique. www.fef.asso.fr/
AEF   L'Alliance Evangélique est née à Londres en 1846, grâce à des chrétiens membres de diverses Eglise issues de la Réforme. Les objectifs principaux de l'Alliance  sont d’établir et  de développer le dialogue entre les chrétiens, unir dans la prière, l'action la proclamation de l'Evangile. Il existe donc une Alliance nationale (affiliée aux alliances européenne et mondiale) avec des groupes locaux dans les diverses régions françaises. www.alliance-evangelique.org/accueil/
AEPF  L'association d'Eglises de Professants des Pays francophones, constituée en mars 1957,  qui  a pour objet de  rapprocher les Unions d'Eglises les unes des autres et de leur donner ainsi de s'entraider. www.eglises.org/groupements/aepf/
CNEF   Le Conseil National des Evangéliques en France est né en 2001 de la collaboration de l'AEF et de la FEF en vue d'un rassemblement le plus large possible de l'ensemble des Eglises, institutions et œuvres du courant évangélique. www.eglises.org/groupements/cnef/

 

 

 

 

 



[1]Jean SEGUY : « Les termes d’Église, de confession, de dénomination, de secte appartiennent au langage ecclésiastique et théologique. En tant que tels, ils sont chargés de normativité ». Article EU

 

 

[3]Louis Hourman. « Sectes et société » Encyclopédia Universalis .

[4] André Gounelle : »la Réforme Radicale » sur la page web du « Musée virtuel du protestantisme ».

[5] Le protestantisme français au sens large (membres et mouvance)  est estimé, statistiquement parlant à 3% de la population française. La moitié au moins est composée d’ « évangéliques ».

[6] L'église mennonite se forme en Europe Centrale au 16e siècle, à partir du mouvement anabaptiste lancé dans la foulée de la réforme luthérienne par Menno Simons (1492-1559), qui devint l'un des premiers chefs de cette église.


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