LES CISTERCIENS EN PROVENCE

La Provence, possède trois magnifiques abbayes fondées par les Cisterciens : le Thoronet, Silvacane et Sénanque, « les trois soeurs provençales : Elles ont conservé un remarquable ensemble architectural, qui reflète la spiritualité de l’ordre Cistercien.

I Place des Cisterciens dans l’histoire des abbayes provençales

*Avant Cîteaux

Le monachisme (du grec « monakhos »,solitaire) est apparu très rapidement dans l’histoire du christianisme ; on se retirait loin du monde, dans les déserts, égyptiens par exemple dès le troisième siècle et même avant.

En Provence, après des origines qui restent encore obscures et dont témoignent les tombes du sous-sol de Saint Victor ou les Alyscamps d’Arles,, le christianisme s’organise ; et l’on voit naître  et s’épanouir la vie monastique au V° siècle, à Lérins et à Marseille. Honorat et Caprais s’installent dans l’île de Lérins vers 410. A Marseille sur la rive sud du Lacydon, le monastère de Saint Victor est crée par jean Cassien vers 416 ; une communauté des femmes est installée aussi, place de Lenche, au monastère de Saint Sauveur. Le monastère de Lérins devient très rapidement un séminaire de théologiens et surtout une pépinière d’évêques ; d’où cette unité et cette cohésion qui donnent si grande figure à l’Eglise provençale dès la fin du V° siècle.

Césaire, évêque d’Arles au début du VI °siècle, développe la vie religieuse dans sa cité, pour les hommes et aussi pour les femmes.
C’est de ce temps que datent quelques-unes unes des abbayes de  Provence : celles de Saint Maximin et La Celle (près de Brignoles) fondées par les Cassianites de Marseille vers le V éme siècle ; celle d’ Hermentaire à Draguignan fondée par les disciples d’Honorat.

Les règles monastiques prolifèrent, mais l’une triomphe, celle de saint Benoît. Celui-ci, Benoît de Nursie, fonde vers 530, le monastère de Mont Cassin, en Italie. La règle qu’il propose est appliquée aux alentours de l’an Mil, dans la majorité des monastères d’Occident. A cette époque, le monachisme bénédictin tend à se confondre avec le monachisme clunisien. Cluny est fondée en 909, et l’ordre, qui se veut réformateur, s’étend considérablement. En Provence, après une période difficile (difficultés liées en particulier aux incursions des Sarrazins), le monachisme renaît au X° siècle. C’est souvent sous l’impulsion d’un des premiers abbés de Cluny, Mayeul ou sa famille, qui est provençale. Mais les nouveaux monastères n’entrent pas forcément dans la congrégation de Cluny. Ainsi Saint Victor de Marseille (non clunisiens même si la règle de saint Benoît y est introduite) retrouve un nouveau souffle et exerce une large influence.

Date importante pour la province, : vers  972,elle est délivrée définitivement des Sarrazins, ce qui favorise le développement de la féodalité. Au cours du X °siècle, les monastères ainsi que les églises séculières, ont été bien souvent accaparées par les seigneurs. Les conséquences morales sont désastreuses. Rome entreprend alors au XI siècle une réforme, la Réforme Grégorienne, du nom du pape Grégoire VII (1073-1088). Un grand nombre de  prêtres deviennent membres de communautés des chanoines ; ces clercs renoncent à leur vie privée pour s’établir en communautés (un chapitre cathédral, c’est à dire établi au chef lieu du diocèse et ayant le droit d’élire l’évêque est crée à Arles). La règle est celle de saint Augustin, cette institution canoniale n’est pas  toujours facile à distinguer de l’institution monastique proprement dite.

La première croisade, lancée à la fin du XI° siècle, aboutit en 1099 à la prise de Jérusalem. Un an auparavant a été fondé le monastère de Cîteaux. L’ordre des Cisterciens va, au siècle suivant essaimer dans notre région. Relevons qu’en même temps, c’est aussi le cas des Chartreux ; Bruno a fondé le monastère de la Grande Chartreuse près de Grenoble en 1084 ; au XII° siècle voient l jour en Provence les chartreuses de Montrieux, entre Toulon et Saint Maximin 1117, de la Verne, au coeur de la forêt des Maures 1170.

· Les fondations cisterciennes en Provence, aux XII°  et XIII ° siècles

Les premières implantations sont contemporaines de Bernard, mort en 1153, qui donne son renom à l’ordre. Une tradition raconte qu’il se serait arrêté à Silvacane ; mais il semble étranger à l’implantation cistercienne en Provence, (même si le seigneur de Simiane, qui protégeait Sénanque à sa fondation, avait rencontré Bernard lors d’un synode à Saint Gilles du Gard).

Il n’y eut en Provence, que cinq abbayes d’hommes ; le Thoronet en 1136 (fille de l’Ardéchoise Mazan) ; Sénanque 1148 (fille elle aussi de Mazan)  Ulmet en 1173 (fille de Bonnevaux en Dauphiné) transférée en 1240 à Sauveréal ou Sylvaréal, en Camargue ; Valsainte, fille de Silvacane, située entre Apt et Forcalquier. Il ne reste rien d’Ulmet- Sauveréal ; de Valsainte il y a quelques vestiges ; (ses moines s’étaient transportés, à la fin du XII°  siècle, dans leur domaine voisin de Boulinette). Remarquons que la communauté du Thoronet avait d’abord été installée à vingt cinq kilomètres plus au nord, à Notre dame de Florièges.

Ces abbayes reçoivent des dotations de la part de puissants seigneurs de la région ; pour Sénanque on peut parler de la maison de Simiane, en ce qui concerne le Thoronet et Silvacane, on peut citer Raymond Béranger II comte catalan de Provence.
On peut ajouter à la liste des abbayes d’hommes, celle d’Aiguebelle, dans la Drôme 1137, mais on la situe plutôt en Dauphiné.

Les abbayes de femmes, plus tardives, sont aussi plus nombreuses. La première, Châteauvieux, près de Draguignan, fondée à la fin du XII° siècle, fille du Thoronet, n’a qu’une brève existence. Saint Pons de Gémenos, également fille du Thoronet est fondée en 120 et a comme première abbesse Garsende, issue sans doute d’une grande famille provençale. Elle réussit puis essaime trois fois : à Saint Pierre de Molèges 1213, à l’est de Saint Rémy ; à Saint Pierre d’Almanarvie ; à Hyères 1221,enfin à Marseille même ou Nicole de Roquefort établit Notre Dame de Sion 1242 au faubourg Saint Michel (quartier de la Plaine). Parmi les autres abbayes de femmes, on peut citer Sainte Croix d’Apt, 1234, Sainte Catherine d’Avignon 1254, Sainte madeleine de Carpentras 1380. L’abbaye de Mollèges est abandonnée en 1436, ainsi que le prieuré qu’elle avait fondé à Arles ; les moniales vont habiter Sainte Croix d’Apt (qui recevra également, en 1750, les cisterciennes de Saint Pierre du Puy et de Notre Dame des Plans ).

On peut remarquer que, contrairement à d’autres régions de France, la Provence n’a jamais eu de complexes monastiques très vastes. Ainsi les religieuses de Mollèges ne furent jamais plus de cinquante ; et à Sénanque (comme d’ailleurs à Saint Victor de Marseille, abbaye non cistercienne), l’effectif ne dépasse la soixantaine à aucun moment.

· Après l’apogée de l’ordre cistercien

Comme beaucoup d’autres, les abbayes cisterciennes se sont éloignées plus ou moins vite de l’idéal qui avait présidé à leur naissance. En même temps la société s’était transformée. Alors, au début du XIII° siècle, des ordres nouveaux réagissent : ce sont les ordres mendiants de François et de Dominique ; ils s’installent moins à la campagne et plutôt dans les villes, qui se sont développées.

Au XIV° siècle, la peste, la famine, les cataclysmes naturels, la guerre, le brigandage, font de terribles ravages et destructions ; ainsi est détruite la muraille crénelée qui enveloppe l’abbaye de Molléges.

Au XV° siècle, la ferveur religieuse domine dans la plupart des communautés. C’est le moment ou beaucoup d’abbayes sont données en commende (ce sont alors des bénéfices) a des dignitaires ecclésiastiques et parfois même laïcs, qui en perçoivent les revenus mais en général n’y résident pas. Les quelques moines présents sont réduits à la misère. A Sylvacane au milieu du XV° siècle, il y a si peu de moines, malgré le rattachement de l’abbaye de Valsainte, que l’abbaye quitte l’ordre cistercien ; la conventualité est définitivement éteinte, et le chapitre cathédral d’Aix annexe le temporel (1455). Au Thoronet, en 1430, c’est un lointain évêque d’Ecosse  qui est nommé par le pape à la tête de l’abbaye ; par contre un abbé au XVIII° siècle manifeste, lui, un certain intérêt, mais c’est pour rhabiller l’église dans le goût baroque. Sénanque a plus de chance ; grâce à ses abbés commendataires, qui y résidaient souvent, la vie monastique peut se poursuivre en dépit de la pénurie des vocations, et malgré les guerres de religion (en 1544, les Vaudois incendient l’abbaye).

Les cisterciens se divisent en 1666 sous Louis XIV, en deux obédiences : la commune observance, et la stricte observance, celle ci avec Rancé du monastère de la Trappe. Cela ne peut freiner la décadence dans notre région. A Sénanque le dernier frère convers et le dernier profès (moine de chœur ayant prononcé ses vœux) meurent en 1780. Au Thoronet, la communauté est si endettée qu’un acte de faillite est dressé en 1785, et la sécularisation décidée. Lorsque la révolution éclate, les abbayes sont vendues comme biens nationaux. Cependant les « trois sœurs » provençales échappent à la destruction, et les bâtiments sont progressivement restaurés à partir du XIX et surtout au XX° siècle.

Les cisterciens se réinstallent à Sénanque, avec des à coups, à partir de 1854 ; ils s’installent aussi à Lérins. Depuis 1988, une communauté cistercienne stable vit à Sénanque, où elle a fêté en 1998 les 850 ans de l’abbaye.

II Saint Bernard et la spiritualité cistercienne

Saint Bernard, né en 1090 est mort en 1153. Avec lui, Cîteaux est devenu un modèle porteur d’une exigence d’absolu, et d’un principe de perpétuelle réforme. Le texte de Bernard : «  De consideratione » « de la considération » qu’il adresse au pape Eugène III  a été évoqué par Luther dans son discours au pape Léon X en 1520 ; ce même texte a été repris par Dalloz, à la veille de la Libération. C’est qu’il interpelle les détenteurs du pouvoir en termes toujours actuels. De même, l’aspiration a une vie fondée sur l’ascèse, la méditation, la prière et le travail, n’a cessé de concerner les hommes.

Cîteaux a été fondée en 1098, au sud de Dijon, par Robert de Molesmes à qui succède Etienne Harding ? , pour veiller à « une observance plus stricte et plus fidèle de la règle de Saint Benoît ». C’est en 1112 que le jeune Bernard de Fontaine, issu d’une famille de moyenne noblesse, sollicite son entrée à Cîteaux, avec trente recrues des meilleures familles de Bourgogne. Les années suivantes, Cîteaux fonde plusieurs monastères, en particulier en 1115 Clairvaux dont Bernard devient le premier abbé. Les anciens textes réglementaires sont sans doute produits ces années là, et constamment remaniés au cours du XII° siècle. Les textes essentiels sont la « charte de charité et d’unanimité » unissant le monastère de Cîteaux et les abbayes qui en sont issues ; « l’Exorde » qui rassemble les textes des pères fondateurs en un ensemble cohérent. Il s’agit donc de revenir à l’esprit de la règle bénédictine, en réaction contre Cluny ‘et aussi contre les hérétiques de l’époque).

· Les grands principes : à l’époque des origines de l’ordre cistercien (très tôt ils ont été moins bien appliqués)

Bernard appelle à se retirer du monde. C’est un thème fondateur du monachisme, mais il correspond aussi à un réveil spirituel aux XI° et XII° siècles. Beaucoup se persuadent que les rites auxquels on obéit machinalement et les offrandes destinées à acheter les prières des moines ne suffisent pas pour accéder à l’au-delà. L’idée neuve du XII° siècle (neuve par rapport aux siècles précédents), c’est que le fidèle doit tracer lui-même le chemin qui le mènera au royaume de Dieu. Mais le royaume de Dieu n’est pas de ce monde (Il faut réduire sans cesse l’écart entre le spirituel et le temporel et pour cela, revenir à un passé idéalisé ou le gouffre n’aurait été qu’une fissure. D’où une méfiance à l’égard de tout ce qui est nouveau). Il ne s ‘agit pas pour autant de vivre en ermite, mais de choisir pour la communauté un site plutôt sauvage. La vallée de Sénanque représente l’emplacement rêvé : une vallée profonde, solitaire, et boisée, avec de l’eau courante (le nom de Sénanque viendrait du celte et signifierait « gorges marécageuses »). De même le Thoronet est niché au fond d’un vallon et d’une foret de chênes. Silvacane, dans la large vallée de la Durance, est une exception.
Pour éviter les excès présomptueux, il faut se conformer à ce qui a fait ses preuves, et en premier lieu, la règle bénédictine. La réforme cistercienne, construite en opposition aux dérives clunisiennes est toutefois une interprétation, une relecture de cette règle. La vie en communauté est d’abord perçue comme un moyen d’accéder à la perfection ; elle aide à résister aux tentations : malheur à celui qui est seul, car s’il vient à tomber il n’y aura personne pour l’aider à se relever, écrit Bernard. Elle est aussi un gage d’humilité, en raison de la grande promiscuité. Elle n’empêche pas la solitude, grâce à la règle du silence. Par ailleurs, plus que dans la règle de Saint Benoît, les cisterciens insistent sur un certain ascétisme, surtout pour lutter contre le péché d’orgueil ; le faste nuit à la qualité de la vie spirituelle ; c’est une critique de Cluny. Les cisterciens vivent donc en pauvres, à l’abri de l’indigence mais aussi du luxe : ils mangent à leur faim, mais sans viande, surtout du pain et des légumes ; ils sont vêtus d’une robe, mais non teinte (on les appelle les moines blancs), faite d’un tissu rugueux.

Le moine cistercien et c’est une grande  originalité, refuse également le système seigneurial, avec les taxes et l’exploitation des paysans. La communauté doit vivre en autarcie ; le travail de la terre fait donc partie intégrante de la journée du moine ; il est dégradant, selon le mode de pensée de la société du temps, que les cisterciens partagent ; son acceptation conduit donc à l’humilité. Bien sûr, le moine consacre une bonne partie de la journée à la prière, individuelle ou collective (les « heures »), mais beaucoup moins qu’à Cluny, où les exigences de l’office liturgiques suffisent à exténuer un homme. L’abbaye n’est pas non plus une école, ni un lieu de conservation de reliques et de pèlerinage. Les cisterciens remplissent leur rôle en priant pour le salut du monde, conformément au statut du monachisme dans la théorie des trois ordres, à laquelle ils adhérent (ces trois ordres sont le clergé, ceux qui prient, les nobles, ceux qui se battent, ceux qui produisent en travaillant la terre, les paysans).

La communauté veut avant tout l’élévation personnelle de chacun, la vie intérieure. Le travail de la Terre est perçu comme une contribution à l’œuvre de Dieu, il élève l’âme du moine et le fait accéder au rang d’auxiliaire de Dieu. Ainsi Cîteaux n’est pas un retour pur et simple à un passé idéalisé ; il est au cœur de l’émergence de l’identité au XII° siècle ; et même il participe à la vague d’optimisme issue des écoles cathédrales qui introduisent la notion de progrès et s’interrogent sur la place de l’homme dans la création- cette évolution des esprits étant rendue possible par la croissance économique apparue depuis peu, qui arrache les campagnes à la misère et fait croître les villes.

Le conservatisme de Cîteaux se voit plutôt dans le mépris à l’égard du peuple (les frères de chœur, issus de l’aristocratie, méprisent les frères convers, de basse extraction) ; on s’adresse aux chevaliers, et on prône des « prouesses », mot commun aux guerriers et aux moins, dans le combat contre le mal. C’est dans ce sens que Bernard prêche la deuxième croisade à Vézelay au milieu du XII° siècle.

· Le « modèle cistercien »

Il découle de cette spiritualité, en tout cas il est en relation étroite avec elle.
C’est un modèle de gouvernement ; Cluny règne sur des prieurés sans autonomie, tandis que les maisons issues de Cîteaux sont toutes des abbayes de plein exercice, mais unies par un pacte d’amitié (d’où le terme de « filles »)

C’est aussi un modèle économique. L’activité économique, qui doit être autarcique, et privilégier le faire valoir direct, a pour cadre  d’abord l’enclos abbatial, qui abrite de nombreux bâtiments d’exploitation agricole et industriels ; puis ses abords immédiats, où l’abbaye défriche ; enfin les « granges », exploitations assez éloignées, souvent spécialisées, desservies par des convers et des salariés. On connaît par exemple les cinq granges de Sylvacane. Les cisterciens ont été idéalisés, ils auraient su maîtriser la nature, domestiquer les cours d’eau, mettre en œuvre l’assolement triennal, définir des cépages illustres, sélectionner des races compétitives (par exemple les ovins pour la laine à Sénanque). On émet maintenant des doutes là dessus. Mais on constate d’après les traces retrouvées qu’ils maîtrisent des techniques : celle des moulins ; (au Thoronet il y avait un moulin à huile, un moulin à blé ; mentionnés par les documents) celle des mines de sel et des marais salants (le Thoronet a des marais salants au bord de la mer) ; qu’ils ont des activités métallurgiques (au Thoronet il y a une forge) ; qu’ils fabriquent des tuiles et des briques.

Le monastère se veut une cité idéale. L’abbaye se présente comme un ensemble de bâtiments qui obéit à une triple logique. D’abord la logique du site ; c’est la distribution de l’eau qui dicte en premier lieu l’implantation des bâtiments ; l’eau pour le vivier à poissons, pour l’irrigation des jardins, pour les moulins ; l’eau qui jaillit dans la vasque du lavabo (comme celui que l’on peut voir au Thoronet) ou la vasque dans un angle du cloître de Sénanque ; l’eau qui draine par un égout, les décharges et les latrines. Ensuite une logique des tâches : pour prier, il y a l’église ; pour circuler le cloître, pour se réunir le chapitre ou salle capitulaire, pour les tâches sédentaires, le chauffoir ; sans oublier le réfectoire, la cuisine, le dortoir. Enfin la logique des hommes : le plan d’une abbaye cistercienne distinguant moins du chœur, convers et hôtes, correspond souvent a un plan type qui peut être modifié par les exigences du site par exemple à Sénanque.

L’espace des moines est à l’est du cloître lui même, construit le long du flanc de l’église, c’est souvent le flanc sud mais à Sylvacane c’est le flanc nord ; l’église est en général orientée d’Ouest vers l’Est, mais à Sénanque elle est détournée vers le Nord ; cet espace comprend à l’étage un dortoir, au dessus d’une salle capitulaire souvent flanquée d’une sacristie et d’un parloir. De l’autre côté du cloître se trouve le quartier d’habitation des convers, plus rudimentaire. Pour les laïcs, il y a le quartier des hôtes près de l’entrée ; et pour les infirmes, malades et vieillards de la communauté, l’infirmerie placée un peu à l’écart. Mais il y a plutôt un programme qu’un plan type, car, d’une abbaye à l’autre les dimensions sont augmentées ou réduites, les fonctions des bâtiments changées ; et c’est bien ce qu’on constate lorsqu’on compare les plans des « trois sœurs provençales ».

· Y a –t’il un art cistercien ?

Parmi les abbayes cisterciennes, qui existent à travers toute l’Europe, on peut en voir de baroques ; et les premiers manuscrits enluminés de Cîteaux ont des images très précieuses : mais l’image courante de l’art cistercien privilégie l’architecture et l’esthétique du Thoronet et des deux autres abbayes provençales ; et leur modèle est celui qu’à voulu Bernard. Celui-ci a formulé une doctrine du rapport de l’art avec le salut ; dépouillement volontaire, refus de tout luxe, comme dans l’ensemble de la vie du moine ; dans le décor, refus des sujets figuratifs qui pourraient distraire de la prière : pour contempler Dieu, il faut renoncer au monde sensible. Depuis le XIX° siècle, on oppose couramment le modèle cistercien (bernardin) au modèle clunisien richement orné ; mais celui ci correspond à une autre forme de spiritualité dans laquelle le truchement des formes matérielles permet de s’élever vers la lumière céleste. Notons par ailleurs l’esthétique cistercienne n’est pas un refus de l’art, mais un art épuré, celui de l’harmonie des nombres et des proportions.

Le chapitre général, au début de l’ordre cistercien, fait sienne la doctrine de bernard, par unesérie d’interdictions. D’abord il prohibe les ornements liturgiques somptueux, les sculptures et les peintures ; puis il exige que les lettres ornées des manuscrrits soeint d’une même couleur et que les vitraux soient incolores. On dit que le cloître du Thoronet représente l’idéal bernardin ; les cloîtres de Sénanque et du Thoronet lui ressemblent beaucoup, les piliers sont massifs, les colonnes ont des chapiteaux rudimentaires ; la beauté vient de la rigueur des proportions, de la beauté de la pierre et de la perfection de l’appareil aux parements à joints vifs, de la magie des jeux de lumière. Cette esthétique a inspiré Le Corbusier qui écrit : «  La lumière et l’ombre sont les hauts- parleurs de cette architecture de vérité, de calme et de force. ». La taille du calcaire dur, gris et rose qui est utilisé au Thoronet demande un travail difficile qui a impressionné l’architecte Fernand Pouillon ; dans un roman : « les pierres sauvages » ; celui-ci imagine l’épopée de la construction de l’abbaye.
On ne peut pas parler de « style » cistercien. L’esthétique bernardine est réglée sur des valeurs qui amènent à se désintéresser des modes éphémères. Aussi peut-elle  juxtaposer des formes romanes, et des formes gothiques (apparues dans le midi à la fin du XII° siècle) ; elle prolonge la survie des formes périmées comme le chapiteau cubique ou le chapiteau à godrons (ornement en forme d’oves allongées), ou le chapiteau à feuille d’eau qui s’entrouvre en même temps qu’elle accueille les formes nouvelles du chapiteau à crochets ; de même les voûtes sur croisées d’ogives (croisée du transept de l’église de Sylvacane, salle du chapitre de Sénanque du Sylvacane et du Thoronet) voisinent avec les voûtes en berceau brisé de la nef de l église ou d’autres bâtiments. L’important c’est l’unité de l’esprit, la simplicité.

C’est ainsi que l’on peut retrouver, en visitant les trois abbayes qui subsistent en Provence, l’esprit cistercien, la spiritualité de saint Bernard, spiritualité qui s’exprime par exemple dans le texte suivant :

« Quiconque aime, ne peut douter d’être aimé. Voilà pourquoi l’amour de Dieu pour nous suit notre amour pour Lui, tout comme il le précède. Comment peut-on tarder à aimer en retour, alors qu’on a été aimé par Dieu tandis qu’on ne L’aimait pas encore? Il nous a aimés. Je le répète Il  nous a aimés. Nous trouvons la garantie de son amour dans l’Esprit, et le témoin en Jésus crucifié. Preuve double et très solide de l’amour de Dieu envers nous! Le Christ est mort et mérite d’être aimé. L’Esprit exerce son influence et nous fait aimer. Le Christ nous donne une raison d’aimer. L’Esprit  nous en procure la possibilité ». cité par M.Pacaut : « Les moines blancs » p 214

Huguette VIDALOU LATREILLE

Bibliographie

BERENGUIER Raoul : Abbayes de Provence Nouvelles éditions latines 1969

DUBY Georges : Saint Bernard- l’art cistercien Champs Flammarion Paris 1979.

LATREILLE A , DELARUELLE E, PALANQUE JR : Histoire du catholicisme en France (tome 1) Editions SPES, Paris 1957

MOLINA Nathalie : l’abbaye de Silvacane éditions du patrimoine 1999

MOLINA Nathalie : L’abbaye du Thoronet éditions patrimoine 1999

PACAUT Marcel : Les moines blancs. Histoire de l’ordre de Cîteaux Paris Fayard 1993

PRESSOUYRE Léon : Le rêve cistercien Découverte Gallimard Paris 1990.


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